Douleur du monde ...
Seconde réflexion ici dans une même journée, avec toujours cet irrépressible besoin d'écrire quand les pensées ne se contentent plus du confinement qui leur est imposé dans un esprit impuissant à les ordonner toutes à la fois quand elles s'accélèrent et s'embalent.
Ce soir j'ai vu les Carnets de Voyage au cinéma, retraçant ce voyage de jeunesse d'Ernesto Guevara avec un ami sur une moto et qui aboutira à forger l'âme du commandante Che Guevara dont on placarde tous les murs de la bourgeoisie de bohème jusqu'aux boutiques souvenirs du parvis de Notre-dame en passant par les locaux soviets des groupuscules Trotskystes (révolutionnaires tous les premiers mercredi soir du mois) ...
C'est un film d'une grande beauté parce qu'il se saisit de l'essentiel de la lutte du Che : la beauté de la terre et l'humilité des hommes de bien qui sont violés l'une et les autres depuis des siècles. Voir l'homme qui a d'abord vu le regard d'un paysan et la poésie d'un soleil couchant sur Machu Picchu avant de penser un combat; c'est montrer que la lutte pour la vie commence par un voyage, un partage simple et des sentiments communs ...
C'est étrange comme de savoir que je suis lu ici et de savoir qui me lit me donne cette envie de confier ce que je n'autorise plus les autres à regarder ailleurs, où je me sens incompris, négligé, hâtivement jugé ...
Ce film m'a dit ce soir ce que j'ai toujours su : que ma vie est là dans ce don simple de ma personne et non pas dans les antichambres d'une société qui ne fera jamais que m'offrir des compensations à ma soif de vie en l'étanchant avec des passions de rechange. Ma vraie passion c'est la vie pure, intense, à la source. Ce n'est pas un feu d'artifice dont j'apprécierais les savants arrangements, c'est simplement une aurore boréale dont j'admire la beauté simple et naturelle.
Je sais qu'actuellement j'ai ceci et cela comme projet, je parle d'études, de concours, de professions mais le vrai projet il se situe au-delà, dans l'investissement que je ferais de ma vie pour ce en quoi je crois.
Ca me ramène à ma réflexion précédente qui retrace mon ressenti et mon identité : la solitude que je ressens aujourd'hui est celle d'une absence d'être qui partage avec moi ce profond désir d'investissement et cette passion de la vie qui puisse l'amener comme moi à tout délaisser d'un jour sur l'autre pour une lutte qui me tiendrait à coeur. Je parle de lutte mais ce n'est pas tellement la lutte contre l'opression mais la lutte contre la violation d'un idéal au quotidien; je ne tiens pas à manier le fusil et je préfèrerais même l'éviter, je ne veux pas faire la révolution particulièrement, je veux simplement lutter contre ce qui agresse ma sensibilité et mes convictions en chaque jour.
Je dis souvent que je vais partir un beau jour et on ne me croit pas, on se dit "comme la dernière fois", mais ce qu'on ne comprend pas c'est que je suis déjà en train de faire mes bagages et que quand je partirais ce n'est pas mon corps qui prendra un avion pour je ne sais où mais simplement mon esprit qui s'affranchira de ses entraves pour partir dans le sens de son idéal. Le Joël d'aujourd'hui laissera place au songe qui écrit ces lignes sur ce blog. Si Utopic aboutit j'aurais bouclé la boucle et je serais fin prêt pour le grand saut.
Le saut vers où et quoi ? Vers la mise en pratique de tout ce que j'aurais patiemment assemblé ici, dans ma démesure, ma folie, mes émotions rentrées, ma solitude muette, tout ce que je suis intérieurement mais qui n'a encore que peu de pouvoir au-dehors. Pour l'heure je suis une marionnette de l'extérieur et une esquisse de l'intérieur avec un semblant de libre-arbitre pour relier l'une à l'autre.
La douleur du monde est en moi comme une gangrène et je ne crèverais cet abcès douloureux qu'au jour où j'activerais mon immunité, mon étrange et alléatoire construction mentale. Il y a tant de films qui me laissent tremblant et l'oeil humide (si ce n'est pas la joue), il y a tant de regards qui me troublent, de visions qui me restent que je sens le monde comme un constant organe de moi qui me fait sentir ses douloureux élancements; je ne peux pas laisser cet organe m'être amputé, ce serait comme une diminution que je continuerais à ressentir comme un membre fantôme. J'ai besoin de consacrer tous mes efforts à le soigner, aussi vain que cela puisse paraître à ceux qui n'y voient qu'une infection nauséabonde et purulente.
Je pourrais me terrer dans le trou le plus profond et prendre chaque jour ma morphine, viendra un moment où face à cette réalité incontournable : j'ai une chose à accomplir dans ma vie, induite par ma personnalité, mon éducation et tout ce qui fait de moi ce que je suis aujourd'hui. Je ne veux pas me leurrer en choisissant la facilité comme refuge ...
Voilà, ce soir je suis grave et mélancolique parce que je suis seul face à moi-même avec la conscience de tout ce que ma vie aura encore de difficile, j'ai tellement d'appréhension à faire ce choix en solitaire ...
Alea jacta est ...
Ecrit par Songe, le Jeudi 28 Octobre 2004, 00:45 dans la rubrique "Thèmes".