Faux-altruisme
Parfois je ressors un peu étourdi de ma lecture de tous ces blogs ...
De toutes ces initiales aimées ou détestées qu'on verra demain, qu'on a aimé hier ou qui qu'on convoite, tous ces noms qui vont et viennent dans toutes ces lignes de vie discontinues. Des blogs qui naissent, des blogs meurrent, des blogs qui renaissent un temps, déménagent, etc.; de toutes ces confidences mi-cachées, mi-avouées, toutes ces pensées collées les unes derrière les autres comme autant de post-it, de tout ce la je retire une sorte de vertige ...
Comme un vaste vivier, où on puise à la louche pour retirer quelques existences qui se débattent dans la grande soupe orginelle. Mes yeux se noient dans tous ces textes, mon esprit se débat contre ce vaste courant qui l'emporte.
Se dire que tous ces L., V., C., D. sont autant de ces faces qu'on croise dans la rue, le métro, le supermarché, toutes ces silhouettes de chair et d'os dans lequel bouillonnent ces préoccupations. Comme autant d'équations qui s'alignent là le long des avenues, des A. + B. = C. content ... et toujours monsieur Jekyll amour qui joue les entremetteurs quand ce n'est pas monsieur Hyde haine qui diabolise à tour de bras. Tous cas "mais", ces "si", ces "peut-être", ces "si seulement" qui articulent l'essentiel de toutes ces vies.
Je ne peux qu'en ressortir étourdi, je me demande pourquoi je parle de moi à certains alors que finalement l'équation qui en ressort me préoccupe bien moins que celle qui relie toutes les autres en elles : l'équation du monde, cette gigantesque formule dont les mécanismes produisent toutes ces petites interrogations quotidiennes, ces soucis sans nombres, ces soucis sans fin ...
Je ne pense pas être altruiste au fond, je pense que c'est davantage une curiosité intellectuelle, une sorte d'avidité de compréhension qui me porte vers autrui. Et puis aussi un perfectionisme très pragmatique je crois : j'aime que tout soit comme une belle machinerie bien rodée, obéisse à une logique viable, que même le chaos soit inclu dans tout ce mouvement réglé. Mais au fond, n'est ce pas déjà ce que l'on trouve dans l'univers, des enclaves soumises au chaos mais qui sont enfermées dans une grande mécanique céleste de forces équilibrées. L'humanité n'est qu'un organe chaotique enfermé dans un corps céleste et son action, aussi disproportionnées puisse-t-elle être, ne sera en fin de compte qu'un boulon défectueux dans la machine et que celle-ci s'empressera d'éjecter. C'est une vision un peu pessimiste mais je m'entends lorsque je dis "défectueux" : rapport à l'équilibre et la cohérence de l'univers, les soubresauts chaotiques de l'humanité ne sont qu'une tolérance qui sera aussitôt réduite à néant lorsqu'elle deviendra intolérance. Si l'homme dégrade l'atmosphère, celle-ci lui retirera ses conditions de vie et l'humanité ne sera plus qu'un souvenir éteint du jour au lendemain.
Je vais vers autrui quand je sais que c'est utile et pour lui et pour moi (la première condition étant indissociable de la seconde; inversement c'est déjà plus plausible). Je vais vers autrui avec la conscience de ce que ça m'apporte et lui apporte (soit donc ce que ça m'apporte de lui apporter). C'est pour cela que je me sens pragmatique : j'aime l'humanité pour des raisons logiques, j'aime la beauté du chaos tout simplement en fait. J'aime cette faculté qu'a l'homme de représenter une inconnue, de l'engendrer dans des conditions imprévisibles. Je suis un esthète avant tout, un appréciateur de la perfection, de l'idéal, de leur beauté symbolique.
Si on me demandait : "pourquoi veux-tu aider les autres ?" je répondrais tout un tas de justifications se donnant l'apparence de l'altruisme : l'amour des hommes, l'amour de la vie et du monde. Mais je sais qu'au fond ce n'est qu'une diversion : je le veux parce que c'est l'équation la plus heureuse de vie que j'ai trouvé pour moi. Après je ne fais que mettre tous mes sentiments et émotions au services de cette conviction ...
Je ne pense pas être malhonnête : simplement je suis un esthète qui ne peut pas l'avouer directement sans être indécent; alors j'en fais un aveu discret sur ce blog que personne ne vient lire mais que tout le monde est susceptible de lire, comme ça on ne pourra me reprocher d'être hypocrite ...
Peut-être que je développerais plus longuement cette prise de conscience parce qu'il me semble essentiel de bien la dégager ...
Ecrit par Songe, le Dimanche 7 Novembre 2004, 12:21 dans la rubrique "Thèmes".